Dans les litiges à caractère fiscal, le fardeau de la preuve incombe-t-il toujours au contribuable?

10 novembre 2022 | Marie-Hélène Tremblay

Au Canada, dans les litiges à caractère fiscal, le fardeau de la preuve est un sujet complexe qui a fait l’objet de vifs débats ces dernières années. Bon nombre de personnes pensent à tort que ce concept se résume par la phrase trop souvent entendue que « le fardeau de la preuve en matière fiscale repose sur les épaules du contribuable ». En réalité, la situation est beaucoup plus complexe et comporte de nombreuses exceptions. En règle générale, les hypothèses factuelles sur lesquelles les autorités fiscales se fondent pour étayer les avis de cotisation sont présumées valides[1] et, de prime abord, le fardeau pour infirmer l’hypothèse incombe au contribuable. Toutefois, certaines hypothèses ne sont pas présumées valides, par exemple, les hypothèses factuelles dont le contribuable n’a pas la connaissance exclusive. Dans une récente décision interlocutoire rendue le 22 février 2022 dans la cause Hong Kong Style Café Ltd. [2], la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI ») traite directement de la question de savoir si certaines hypothèses factuelles formulées par les autorités fiscales à l’appui des avis de cotisation étaient réputées valides.

La décision dans la cause Hong Kong Style Café Ltd

Dans cette cause, les autorités fiscales ont effectué un contrôle fiscal de deux sociétés (Hong Kong Café Ltd. et Emerald Seafood Restaurant Ltd.) et d’un particulier (Monsieur Decade Chun Ping Or, restaurateur). Au cours de l’audit, les autorités fiscales ont utilisé une méthode d’estimation des ventes basée sur un algorithme d’audit des activités commerciales électroniques. Elles ont conclu que les sociétés avaient utilisé un logiciel de « zapping » pour supprimer certaines transactions de leurs livres. Ces mesures ont, bien entendu, entraîné une déclaration erronée des ventes (impôt sur le revenu) et des taxes de vente qui s’y rattache. L’ARC a indiqué dans l’avis de cotisation les taxes à la consommation sur les ventes faisant l’objet d’allégations de non-déclaration. Les appelants ont présenté une requête interlocutoire afin de tenter d’écarter certaines hypothèses factuelles sur lesquelles, selon eux, les cotisations en litige étaient fondées.

L’argument des appelants

Les appelants ont fait valoir que la preuve des autorités fiscales était fondée principalement sur des données provenant de l’algorithme permettant d’estimer les ventes, et que certaines hypothèses factuelles ayant permis d’étayer les cotisations en litige étaient fondées sur les données de l’algorithme. Selon les appelants, les autorités fiscales avaient la connaissance exclusive des faits découlant de l’utilisation de l’algorithme et les appelants auraient été dans l’obligation d’engager des frais importants pour réfuter ces hypothèses. À ce titre, le fardeau de la preuve dans ces hypothèses devrait incomber aux autorités fiscales.

L’argument des autorités fiscales

Les autorités fiscales ont fait valoir que les hypothèses factuelles contestées par les appelants se rapportaient à des faits dont le contribuable avait la connaissance exclusive et qu’elles ne reposaient pas sur des données tirées de l’algorithme. Elles étaient plutôt fondées sur la connaissance exclusive des appelants du fait qu’ils avaient ou non supprimé des lignes de leurs bases de données. À ce titre, les appelants ont le fardeau de réfuter les hypothèses factuelles et devraient être en mesure de fournir la preuve des recettes qui leur sont propres.

La décision de la CCI

La CCI a rejeté la requête des appelants visant à écarter certaines hypothèses factuelles. En effet, les hypothèses factuelles formulées par les autorités fiscales dans cette cause n’étaient pas fondées sur les données tirées de l’algorithme. Il incombe donc aux appelants de réfuter les hypothèses factuelles formulées par les autorités fiscales. La valeur probante des données tirées de l’algorithme doit être laissée à la discrétion du juge de première instance.

Les appelants n’ont pas l’obligation de prouver que l’algorithme du système d’audit des activités commerciales électroniques (ECAS) est déficient ou non fiable. Ils devront plutôt se décharger de leur fardeau de la preuve en réfutant les principaux faits présumés par les autorités en présentant au procès des éléments de preuve visant à établir, tout bien considéré, quels étaient les montants exacts de ventes, de recettes et de revenus à déclarer (paragraphe 43).

Aperçu

Même si le contribuable n’a pas eu gain de cause dans cette requête, la cause en question est une analyse très intéressante des hypothèses factuelles formulées par les autorités fiscales pour étayer un avis de cotisation. Il est primordial de procéder à une analyse détaillée de ces hypothèses pour bien comprendre le fardeau de la preuve qui incombe au contribuable dans chaque cas particulier.

Si vous êtes concernés par une procédure d’audit à caractère litigieux ou complexe, ou si vous souhaitez contester un avis de cotisation, les membres du groupe d’expertise en matière de règlement de différends fiscaux de Miller Thomson demeurent à votre disposition pour en discuter.

[1] Ce concept repose principalement sur l’interprétation par les tribunaux du paragraphe 152(8) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») et de l’article 1014 du paragraphe 1 de la Loi sur les impôts du Québec; St-Georges c. Québec, 2007 QCCA 1442.

[2] Hong Kong Style Café Ltd. et al. c. La Reine, 2022 CCI 9.

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