Faillite de Celsius et application des règles sur les créances irrécouvrables

17 janvier 2023 | Anish Kamboj, Andrew Rodrigues

De nombreux prêteurs de cryptomonnaie ont déclaré faillite. Ces cas de perte témoignent des pertes astronomiques qui ont accablé le marché cryptomonétaire cette année.

Pour les investisseurs touchés, il y a lieu de considérer le moyen de capitaliser sur ces pertes. Dans cette optique, le présent article décortique la faillite récente de Celsius Network (« Celsius ») et la stratégie fiscale pour radier la créance irrécouvrable.

La faillite de Celsius

Le 13 juillet 2022, Celsius s’est placée sous la protection du chapitre 11[1]. Le prêteur affirmait détenir un actif géré de 25 milliards de dollars, mais l’encaisse de la société ne s’élevait qu’à 167 millions de dollars au moment de sa faillite[2].

Les activités de Celsius devaient s’apparenter à celle d’une banque traditionnelle, la société promettant en plus des rendements généreux, soit près de 20 % par année. L’utilisateur investisseur pouvait déposer de la cryptomonnaie auprès de Celsius[3]. Le prêteur utilisait ensuite ces dépôts pour octroyer des prêts[4]. L’utilisateur recevait ensuite des versements hebdomadaires de Celsius, dont le montant se fondait sur le produit tiré des prêts, qui étaient, au final, capitalisés par les dépôts des investisseurs[5]. L’utilisateur emprunteur pouvait donner de la cryptomonnaie en garantie et obtenir de l’argent liquide ou des prêts en cryptomonnaie stable en contrepartie[6]. En principe, le modèle était simple, mais Celsius n’a pas pu le maintenir.

Parce qu’il offrait des rendements pouvant atteindre 20 %, le prêteur a été accusé de mener une combine à la Ponzi. On alléguait que le prêteur versait les intérêts dus aux premiers investisseurs au moyen des sommes investies par les nouveaux utilisateurs sans toutefois maintenir de provisions de cryptomonnaie égales à ses dettes. Par conséquent, quand les utilisateurs ont voulu retirer leurs dépôts au moment où la valeur des cryptomonnaies était au plus haut, Celsius a été obligée d’acheter de la cryptomonnaie sur le marché libre, à prix fort, ce qui a engendré des pertes monumentales. Pour attirer plus d’utilisateurs et couvrir ses pertes, Celsius a augmenté ses taux d’intérêt pour rembourser ses premiers déposants et créanciers[7].

Cela dit, avec la chute récente du marché, le passif de Celsius a largement dépassé son actif. Selon les états financiers et les documents de faillite, le passif de Celsius s’élève à 5,5 milliards de dollars (dont 4,7 milliards de dollars sont dus aux utilisateurs) tandis que son actif ne s’élève qu’à 4,3 milliards de dollars[8].

Celsius a également fait des investissements qui n’ont pas porté fruit[9]. Celsius a immobilisé des fonds dans des contrats de cryptomonnaie à long terme illiquides et a donné des actifs en garantie à l’égard des sommes empruntées ou en a vendus pour l’achat d’équipement de minage. Avec ces dettes illiquides, surtout dans un contexte de fluctuations marquées du marché, le prêteur n’a pas été en mesure d’obtenir les ressources nécessaires pour remplir ses obligations.

En fin de compte, Celsius a bloqué les comptes de ses clients au mois de juin 2022, plaidant des « conditions extrêmes du marché » pour justifier sa décision[10]. Le prêteur s’étant placé sous la protection du chapitre 11, les utilisateurs ne peuvent récupérer leurs fonds.

Selon les « Conditions d’utilisation » de Celsius (les « Conditions »), si une faillite survient :

  • La cryptomonnaie utilisée pour acquérir d’autre cryptomonnaie ou donnée en garantie pour les prêts peut ne pas être recouvrable;
  • Les utilisateurs n’ont aucun droit ou recours juridique à l’égard des obligations de Celsius[11];
  • Les utilisateurs sont réputés être des créanciers non garantis[12].

Compte tenu de ces conditions strictes et de la procédure de faillite en cours, il sera très difficile pour les utilisateurs de récupérer leur investissement; en effet, un recouvrement immédiat et intégral est fort peu probable.

Règles sur les créances irrécouvrables de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada)

L’alinéa 50(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada (« LIR »)[13] est la disposition essentielle concernant les « créances irrécouvrables ». Lorsque l’alinéa 50(1)a) de la LIR s’applique, le contribuable est réputé avoir disposé de la créance à la fin de l’année pour un produit nul et l’avoir acquise de nouveau immédiatement après la fin de l’année à un coût nul[14]. Cette disposition pourrait donner lieu à une perte en capital égale au prix de base rajusté de la créance entre les mains du contribuable (sous réserve du sous-alinéa 40(2)g)(ii), cité ci-dessous).

Pour l’application de l’alinéa 50(1)a) de la LIR :

  • La créance doit être due au contribuable à la fin d’une année d’imposition (autre qu’une créance qui lui serait due du fait de la disposition d’un bien à usage personnel);
  • Celui-ci doit établir que la créance s’est révélée être au cours de l’année une créance irrécouvrable;
  • Le contribuable doit faire un choix dans sa déclaration de revenus pour l’année[15].

Par exemple, pour que l’alinéa 50(1)a) s’applique à une créance en 2022, le contribuable doit établir que la créance lui est due au 31 décembre 2022 et qu’elle s’est révélée être irrécouvrable en 2022, et il doit choisir de faire appliquer l’alinéa 50(1)a) dans sa déclaration de revenus 2022[16].

Selon l’Agence du revenu du Canada (« ARC »), le moment où une créance devient irrécouvrable est une question de fait[17]. En général, l’ARC estime qu’une créance devient « irrécouvrable » à la fin de l’année si le contribuable a épuisé tous les recours possibles pour la recouvrer ou si le débiteur est devenu insolvable et n’a pas les moyens de la rembourser[18]. Dans l’arrêt Flexi-Coil Ltd. v. R[19], la Cour d’appel fédérale a statué que la question de savoir si une dette devient ou non irrécouvrable doit être tranchée par le contribuable selon son jugement de personne d’affaires prudente[20]. Le tribunal doit être convaincu que le contribuable a établi que la créance est irrécouvrable et que le contribuable a agi de manière professionnelle pour ce faire[21].

L’ARC s’est aussi fondée sur Rich c. Canada (« Rich »)[22] pour établir sa position sur le moment où une dette devient « irrécouvrable »[23]. Dans Rich, l’honorable juge Rothstein (tel était alors son titre), a décrit les facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si une créance est devenue « irrécouvrable ». Les voici :

  • l’historique et l’âge de la créance;
  • la situation financière du débiteur;
  • l’évolution du chiffre d’affaires total par rapport aux années antérieures;
  • l’encaisse, les comptes clients et autres disponibilités du débiteur à l’époque pertinente et par rapport aux années antérieures;
  • les comptes fournisseurs et autres exigibilités du débiteur à l’époque pertinente et par rapport aux années antérieures;
  • les conditions économiques générales ayant cours dans le pays, parmi l’ensemble des débiteurs et dans la branche d’activités du débiteur; et
  • l’expérience antérieure du contribuable en matière de radiation de créances irrécouvrables[24].

Dans le cas de la disposition d’une créance à un prix inférieur au prix de base rajusté, le sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la LIR indique que la perte est nulle, sauf si la créance a été acquise par le contribuable en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien, ou en contrepartie de la disposition d’une immobilisation en faveur d’une personne avec qui le contribuable n’avait aucun lien de dépendance[25].

Si la créance irrécouvrable est recouvrée subséquemment, même en partie, l’alinéa 12(1)i) de la LIR prévoit que les sommes reçues sont inclues dans le revenu imposable du contribuable de l’année où elles sont reçues[26].

Pour invoquer l’alinéa 50(1)a) de la LIR, en plus du choix à faire, un utilisateur de Celsius doit établir :

  • qu’une créance lui est due à la fin de l’année d’imposition;
  • que la créance s’est révélée être au cours de l’année une « créance irrécouvrable ».

Il est incertain qu’on puisse satisfaire à première exigence étant donné que l’ARC est d’avis que la cryptomonnaie n’est pas considérée comme de l’« argent » ou une « devise » pour l’application de la LIR, mais plutôt un « produit de base »[27].

De plus, pour éviter l’application du sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la LIR, qui indique que la perte est nulle, un utilisateur de Celsius doit établir que la créance a été acquise en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien, ou en contrepartie de la disposition d’une immobilisation en faveur d’une personne avec qui il n’avait aucun lien de dépendance.

En fin de compte, la voie à suivre pour un investisseur de Celsius n’est pas claire, mais devrait se préciser dans les mois et les années à venir. Nous recommandons aux contribuables qui ont investi dans Celsius de consulter leur conseiller fiscal.

Conclusion

Les cas de perte dus aux faillites de prêteurs de cryptomonnaie sont un phénomène récurrent sur le marché cryptomonétaire. Les auteurs aimeraient pouvoir affirmer que ces cas sont désormais chose du passé dans le secteur naissant des cryptomonnaies, mais ce serait mentir. Cela dit, les investisseurs devraient se renseigner sur les stratégies possibles si ces cas se produisent et pour pouvoir prendre les devants s’ils se retrouvent dans une telle situation.

Il est capital, dans les situations difficiles, de rester patient et de se préparer. Si vous avez besoin d’aide en matière de fiscalité des cryptomonnaies, veuillez communiquer avec un membre de l’équipe de la fiscalité d’entreprise de Miller Thomson.

Les auteurs tiennent à remercier Raffaella Garofalo, étudiante en 2022 chez Miller Thomson, pour ses contributions à cet article.

 

[1] Wayne Duggan, What is Celsius? Why is it Crashing the Crypto Market? (18 juillet 2022), en ligne : Forbes Advisor .

[2] MacKenzie Sigalos, From $25 billion to $167 million: How a major crypto lender collapsed and dragged many investors down with it (17 juillet 2022), en ligne : CNBC .

[3] Steven Buchko, What is Celsius Network? (16 juin 2022), en ligne : CoinCentral .

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] Arjun Kharpal, Embattled crypto lender Celsius is a ‘fraud’ and ‘Ponzi scheme,’ lawsuit alleges (8 juillet 2022), en ligne : CNBC .

[8] Sigalos, supra note 2.

[9] Ibid.

[10] Hannah Lang, State securities regulators investigating Celsius accounts freeze (16 juin 2022), en ligne : Thomson Reuters .

[11] Celsius Network, Terms of Use (14 avril 2022), en ligne : Celsius Network , article 13. Consent to Celsius’ Use of Digital Assets [Terms of Use].

[12] Ibid, article 4. Services, B. Custody.

[13]L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) [LIR].

[14] Agence du revenu du Canada, Folio de l’impôt sur le revenu S4-F8-C1, Pertes au titre d’un placement d’entreprise (18 février 2017), par. 1.20 [Folio S4-F8-C1].

[15]Ibid., par. 1.21.

[16] Ibid.

[17]Ibid., par. 1.34.

[18] Ibid.

[19] [1966] 3 CTC 57, 96 DTC 6350 (« Flexi-Coil »).

[20]Ibid., par. 5.

[21] Ibid.

[22] 2003 CAF 38 (« Rich »).

[23]Folio S4-F8-C1, supra note 14, par. 1.35.

[24]Rich, supra note 22, par. 13.

[25] LIR, supra note 13, sous-alinéa 40(2)g)(ii).

[26] LIR, supra note 13, alinéa 12(1)i); Rich, supra note 22, par. 15.

[27] Voir, par exemple, l’interprétation technique de l’Agence du revenu du Canada 2013-0514701I7, Bitcoin (23 décembre 2013).

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