La Cour d’appel de la C.-B. se prononce sur la computation des intérêts lors du dépôt de sommes en fidéicommis en substitution d’une hypothèque légale et la répartition du risque dans un contrat à prix coûtant majoré assorti d’une estimation

4 juillet 2023 | Cobi Dayan, Danielle M. Bouchard

Dans la décision récente Highridge Homes Ltd. v. de Boer, 2023 BCCA 74, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « Cour ») a accueilli un appel portant sur des intérêts courus, jugeant que les fonds versés en fiducie à titre de garantie pour un privilège de construction (hypothèque légale de la construction) ne constituaient pas un paiement aux termes du contrat entre les parties (le « contrat de construction ») permettant d’acquitter les obligations de paiement des maîtres de l’ouvrage ou de mettre fin à l’accumulation des intérêts contractuels.

La Cour a aussi rejeté un appel incident au motif que l’intégration d’une estimation des coûts dans le contrat de construction ne suffisait pas dans les circonstances pour modifier la répartition du risque de dépassement de coûts, assumé par les maîtres de l’ouvrage dans un contrat à prix coûtant majoré.

Contexte

L’appelante, Highridge Homes Ltd. (l’« entrepreneur »), a été mandatée par Vanessa et Dirk de Boer (les « maîtres de l’ouvrage ») pour la construction d’une maison à Vernon, en Colombie-Britannique. Les parties ont conclu un contrat de construction à prix coûtant majoré, lequel, par sa nature, attribue le risque de dépassement des coûts aux maîtres de l’ouvrage. Ce contrat comportait toutefois une estimation des coûts, sous la forme d’un document de deux pages listant les différents éléments du projet et une estimation de leur coût (l’« estimation des coûts »).

En raison d’une mésentente, les parties ont résilié le contrat de construction avant la fin des travaux. L’entrepreneur a produit une facture finale pour les services fournis avant la résiliation (la « facture »), que les maîtres de l’ouvrage ont refusé de payer.

L’entrepreneur les a poursuivis pour obtenir son paiement et une réparation pour perte de profits, en plus d’enregistrer un privilège de construction (hypothèque légale de la construction) sur le titre de propriété. Les parties ont conclu une entente (l’« entente de garantie ») selon laquelle les maîtres de l’ouvrage acceptaient de verser le capital de la facture à leur avocat pour qu’il soit détenu en fiducie en attendant le règlement du litige, et ce, en échange de la mainlevée du privilège de construction (le « paiement en fiducie »).

Le juge de première instance a conclu que les parties avaient résilié le contrat de construction d’un commun accord et que l’entrepreneur avait droit au paiement de la facture. Il a toutefois refusé d’appliquer des intérêts contractuels (au taux de 12 % par année) après le paiement en fiducie. Selon lui, le paiement en fiducie constituait un paiement au sens du contrat de construction et suffisait pour mettre fin à l’accumulation des intérêts.

Le juge a aussi conclu que l’intégration de l’estimation des coûts dans le contrat de construction ne suffisait pas, dans les circonstances, pour modifier le risque de dépassement des coûts assumé par les maîtres de l’ouvrage, puisqu’il s’agissait d’un contrat à prix coûtant majoré. Pour parvenir à cette conclusion, le juge a considéré (mais a ultimement distingué de l’espèce) l’affaire Patel v. WG Housing Ltd., 2012 ABQB 734, où on a jugé que l’estimation modifiait les modalités du contrat de sorte que toute variation de prix devait se situer au maximum à 5 % au-delà ou en deçà des prévisions.

L’entrepreneur a interjeté appel de la décision du juge de première instance sur les intérêts. Les maîtres de l’ouvrage ont interjeté un appel incident à l’égard d’autres questions, comme la conclusion sur l’estimation des coûts, au motif que le juge n’aurait pas dû s’écarter de l’affaire Patel v. WG.

Le paiement en fiducie entraîne la mainlevée du privilège, mais pas l’extinction de l’obligation de paiement

La Cour a conclu que le paiement en fiducie ne satisfaisait pas aux modalités de paiement énoncées dans le contrat de construction. Selon elle, les maîtres de l’ouvrage n’ont pas renoncé à la propriété du paiement en fiducie, donné comme substitut aux terrains et bâtiments faisant l’objet du privilège de construction (hypothèque légale de la construction) enregistré. Par conséquent, la Cour a confirmé que le paiement en fiducie, comme un paiement fait au tribunal pour obtenir la mainlevée d’un privilège de construction, ne pouvait pas être assimilé à un paiement à l’entrepreneur.

L’estimation des coûts ne modifie pas la répartition du risque 

Comme elle n’a décelé aucune erreur de droit dans la façon dont le juge de première instance a interprété le contrat de construction et considéré la décision Patel v. WG, la Cour a maintenu sa conclusion sur ce point. Ce faisant, la Cour a confirmé qu’il n’était pas lié par la décision Patel v. WG, et que la modification ou non de la répartition du risque par les parties dans un contrat à prix coûtant majoré est une question d’espèce.

Conclusion et points à retenir

Il est évident, à la lumière de la décision Highridge Homes Ltd., que comme les paiements faits au tribunal pour obtenir la mainlevée d’un privilège de construction (hypothèque légale de la construction), les paiements déposés en fiducie à titre de garantie pour un tel privilège ne suffisent pas pour libérer une partie de son obligation de payer des intérêts contractuels.

La question des intérêts peut sembler mineure, mais les répercussions ont le potentiel d’être considérables, surtout si le contrat prévoit un taux d’intérêt élevé et que le dossier prend des années à se régler. Dans l’affaire Highridger Homes Ltd., par exemple, l’entrepreneur a obtenu des intérêts au taux annuel de 12 % pour une période de 56 mois, ce qui est bien loin des deux mois espérés par les maîtres de l’ouvrage.

Sur ce point, la décision rappelle que, où que l’on soit, il est important de bien réfléchir aux mesures prises au début de l’action, comme l’obtention de la mainlevée d’un privilège, et de les consigner pour qu’elles produisent les effets escomptés, par exemple dans une entente de règlement, des conditions fiduciaires ou une ordonnance judiciaire.

Elle nous rappelle aussi que l’intégration d’une estimation dans un contrat de construction ne suffit pas, à elle seule, pour retirer au maître de l’ouvrage la responsabilité du dépassement des coûts dans un contrat à prix coûtant majoré. Ensemble, les décisions Highridge Homes Ltd. et Patel v WG nous enseigne qu’il en faut plus. Dans Patel v. WG, par exemple, la cour s’est basée sur le rigoureux processus suivi pour faire approuver les travaux supplémentaires avant qu’ils ne soient effectués et qu’ils augmentent le coût total, de même que sur une preuve extrinsèque du fait que le maître de l’ouvrage s’était fié à l’estimation, moins élevée que le devis original, pour conclure le contrat. Les parties à des contrats à prix coûtant majoré qui comprennent des estimations doivent bien rédiger leurs clauses pour éviter toute ambiguïté quant à leurs intentions sur la répartition des risques.

Pour en savoir plus sur le privilège de construction (hypothèque légale de la construction), sur la garantie déposée pour un tel privilège, sur les contrats à prix coûtant majoré et la répartition du risque dans un tel contrat ou sur tout autre sujet, communiquez avec un membre de notre groupe Litige | Construction.

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