Partenariat public-privé : Attention à ne pas fausser l’évaluation du risque de son cocontractant

9 mars 2022 | Camille Beaudry

Introduction

Les partenariats public-privé (« PPP ») sont couramment employés pour la réalisation de projets d’infrastructure. Dans une décision rendue récemment[1], la Cour supérieure a été appelée à déterminer si un donneur d’ouvrage public avait manqué à ses devoirs de renseignement, de collaboration et de loyauté envers son partenaire privé en ce qui concerne la rentabilité d’un projet.

Faits

Le 15 octobre 2005, la Ville de Sherbrooke (la « Ville ») lance un appel d’offres visant à conclure un contrat de partenariat public-privé pour la construction et la gestion d’un centre de soccer intérieur (le « Centre de soccer »).

Au terme de l’appel d’offres, le contrat est octroyé à Groupe Axor inc. (« Axor »), l’unique soumissionnaire, qui confie à sa filiale, Sherax immobilier inc. (« Sherax »), la gestion du Centre de soccer.

Dans les documents de soumission, la Ville indiquait que ses besoins de location pour les terrains de soccer, ainsi que ceux des organismes ayant pour mandat d’encadrer la pratique du soccer sur son territoire, étaient estimés à 4 943 heures par année. En outre, la Ville garantissait un minimum de 400 000 $ en revenus de location.

Durant les treize années d’exploitation du Centre de soccer, Axor et Sherax constatent que les heures de location desdits terrains sont nettement inférieures à ce qui était prévu lors de l’appel d’offres.

En effet, pendant cette période, les subventions accordées par la Ville aux différents organismes étaient limitées au minimum nécessaire pour générer le revenu de location garanti, soit 400 000 $.

En aucun temps, ces subventions ne suffisaient à l’atteinte des 4 943 heures de location évoquées lors de l’appel d’offres.

De plus, dans l’année suivant l’ouverture du Centre de soccer, la Ville a aménagé un terrain synthétique à proximité du Centre de soccer, faisant ainsi directement concurrence à ses partenaires, Axor et Sherax.

Axor et Sherax entreprennent donc un recours afin de récupérer leur gain manqué.

Ils invoquent que les documents de soumission de la Ville prévoyaient qu’un soutien financier serait offert aux organismes de façon à assurer la location des terrains de soccer pour un nombre d’heures suffisant pour assurer la viabilité financière du Centre de soccer. Sans cela, les entreprises n’auraient jamais accepté d’être liées par ce contrat.

Axor et Sherax reprochent à la Ville d’avoir omis de leur fournir toute l’information pertinente pour leur permettre de mieux évaluer les risques financiers du contrat. Ils reprochent également à celle-ci d’avoir refusé de collaborer à l’atteinte des objectifs de location du Centre de soccer.

En défense, la Ville prétend qu’elle ne peut encourir aucune responsabilité quant aux besoins de location estimés dans l’appel d’offres, car cette estimation n’était présentée qu’à titre indicatif. Elle prétend également qu’elle a rempli ses obligations prévues au contrat en s’assurant de garantir un revenu minimal de 400 000 $.

Jugement

Dans sa décision, la Cour retient que les représentants de la Ville savaient que les estimations sur le plan des heures de location prévues au contrat n’allaient pas être atteintes sans une contribution financière suffisante de la Ville aux organismes. En l’absence d’une telle contribution, les organismes n’étaient pas en mesure de louer les terrains de soccer pour un nombre suffisant d’heures.

La Cour estime que la Ville a manqué à son obligation de renseignement, de collaboration et de loyauté en ne mentionnant pas à Axor et Sherax au moment de la conclusion du contrat qu’elle comptait limiter sa contribution financière au strict nécessaire permettant d’atteindre le niveau de revenu de location minimal garanti de 400 000 $.

La Ville a ainsi omis de fournir à Axor et Sherax toutes les informations nécessaires pour leur permettre d’évaluer les risques financiers du contrat.

L’utilisation des termes « estimé » et « indicatif » dans les documents d’appel d’offres ne pouvait permettre à la Ville d’induire en erreur son cocontractant.

Au surplus, en faisant concurrence à celle-ci, la Ville a manqué à ses obligations de collaboration et de loyauté, lesquelles découlent de l’obligation générale de bonne foi contractuelle.

La Cour a donc déterminé que les manquements représentaient des fautes intentionnelles pour lesquelles la Ville devait être tenue entièrement responsable. La présence d’une clause prévoyant une garantie de revenus de location de 400 000 $ ne pouvait permettre à la Ville d’exclure ou de limiter sa responsabilité.

La Ville a donc été condamnée à payer la somme de 2 686 492,28 $.

Conclusion

Cette décision est intéressante, puisqu’elle rappelle l’importance pour un donneur d’ouvrage d’agir de bonne foi, notamment en ce qui a trait aux informations contenues dans ses documents d’appel d’offres, et ce, indépendamment du modèle de réalisation choisi. En manquant à ses devoirs de renseignement, de loyauté et de collaboration dans le cadre d’un partenariat public-privé, un donneur d’ouvrage s’expose à devoir dédommager son partenaire privé.


[1] Ville de Sherbrooke c. Sherax Immobilier inc., 2021 QCCS 5018 (CanLII).

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