L’autonomie de l’entrepreneur sur un chantier de construction

29 mars 2019 | Jasmin Lefebvre, Marie-Catherine Ayotte

Introduction

Le contrat de construction est un contrat d’entreprise par lequel l’entrepreneur s’engage envers son client à réaliser un ouvrage moyennant une rémunération que ce dernier s’engage à lui payer en retour[1]. Le contrat d’entreprise se caractérise notamment par le libre choix des moyens d’exécution du contrat par l’entrepreneur et par l’absence de lien de subordination entre ce dernier et son client dans le cadre de son exécution. C’est ce qu’on appelle « l’autonomie » de l’entrepreneur.

L’article 2099 du Code civil du Québec[2] (« C.c.Q. ») codifie ce principe : « L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution ».

L’autonomie de l’entrepreneur réfère donc au contrôle que celui-ci a sur l’exécution de l’ouvrage et la direction des travaux – il jouit d’une indépendance presqu’absolue[3], tant dans le choix des moyens et la méthode de construction que dans la « maitrise des séquences et la coordination des différents travaux requis par le contrat d’entreprise »[4]. Bien que le donneur d’ouvrage ait un droit de regard de surveillance général des travaux[5], l’entrepreneur reste maître de l’exécution du travail[6].

L’absence de lien de subordination et le libre choix des moyens d’exécution du contrat par l’entrepreneur sont deux caractéristiques du contrat d’entreprise qui permettent de le distinguer d’autres types de contrats comme le contrat de louage d’ouvrage et le contrat de travail. Cette qualification est importante puisque les obligations auxquelles les parties sont tenues varient en fonction du type de contrat qui les lie. Par exemple, la garantie légale contre les malfaçons[7] ou contre la perte de l’ouvrage[8] ne pourra s’appliquer que si le contrat intervenu est un contrat d’entreprise.

L’absence de lien de subordination

Plusieurs critères établis par la jurisprudence permettent d’établir la présence ou non d’un lien de subordination entre le client et le cocontractant. Parmi les critères dégagés par la jurisprudence, on compte le contrôle exercé par le client, le mode de rémunération employé, la liberté dans la sélection et la direction des employés, la supervision des employés et la gestion de l’attribution du travail[9].

Le simple fait pour un donneur d’ouvrage de demander une méthode de travail plutôt qu’une autre ne suffit pas à établir un lien de subordination de nature à faire échec à la qualification du contrat comme « contrat d’entreprise »[10]. Le donneur d’ouvrage doit pouvoir exercer une maîtrise sur son cocontractant tout au long de l’exécution du contrat pour pouvoir conclure en la présence d’un contrat de location de main-d’œuvre ou de travail plutôt qu’à un contrat d’entreprise.

L’existence d’un certain droit de regard du client sur l’exercice des activités de l’entrepreneur, comme l’existence de moyens de contrôle de la qualité des travaux ou le droit de modifier les plans en cours de contrat ne sont pas, à eux seuls, des éléments de nature à changer la qualification de la relation entre les parties. Il sera question du droit de surveillance du client plus loin.

Le libre choix des moyens d’exécution de l’entrepreneur

Le choix des méthodes et des matériaux

Le « libre choix des moyens d’exécution du contrat » par l’entrepreneur signifie que celui-ci est, en principe, seul à choisir sa méthode de travail et la direction de travaux qu’il exécute. Il  est responsable d’engager sa propre main-d’œuvre et exerce sur celle-ci un contrôle absolu sans l’intervention du donneur d’ouvrage[11]. De plus, l’entrepreneur a l’obligation, en vertu de la loi[12], de fournir les biens nécessaires à l’exécution du contrat. Il est donc libre de choisir les matériaux à intégrer à l’ouvrage ainsi que la machinerie requise pour ce faire.

Malgré la liberté dont jouit l’entrepreneur dans son choix des méthodes d’exécution des travaux afin de réaliser l’ouvrage, celui-ci doit respecter les dispositions contractuelles et les règles de l’art et se doit d’agir en tout temps dans l’intérêt de son client. C’est d’ailleurs ce que soulignait la Cour d’appel dans l’arrêt Hôpital Maisonneuve-Rosemont c. Buesco Construction inc : « la négligence ne fait pas partie des éléments discrétionnaires conférés à l’entrepreneur exécutant un contrat à forfait. Son obligation consiste plutôt à « agir au mieux des intérêts de [son] client, avec prudence et diligence »».[13]

Il est donc possible que l’autonomie de l’entrepreneur soit plus ou moins encadrée, selon le contrat convenu. Comme il ne s’agit pas d’un enjeu d’ordre public, les parties ont droit de s’entendre sur des aménagements résultant en un encadrement plus ou moins important de l’entrepreneur dans le cadre de la réalisation de l’ouvrage. Cela étant, de tels aménagements peuvent influer sur le partage des responsabilités entre les parties au contrat.

Le fait pour un entrepreneur de ne pas employer une méthode de travail appropriée pour exécuter les travaux sera considéré comme une contravention aux règles de l’art. L’obligation de collaboration qui incombe au donneur d’ouvrage ne va pas jusqu’à l’obliger à pallier l’incurie de l’entrepreneur en lui fournissant une méthode de travail lorsque le contrat ne prévoit pas une telle obligation de sa part[14].

Les limites à l’autonomie de l’entrepreneur dans son choix des méthodes et des matériaux seront plus amplement décrites ci-après.

L’autonomie de l’entrepreneur dans son choix de la séquence des travaux

En principe, il appartient à l’entrepreneur de planifier ses travaux et d’en déterminer la séquence de manière à réaliser l’ouvrage à l’intérieur des échéances prévues au contrat[15]. L’échéancier fourni au client par l’entrepreneur est, à prime abord, un simple outil lui permettant de démontrer que l’ouvrage sera exécuté de manière à respecter les délais d’exécution du contrat[16].

À moins qu’il n’en soit prévu autrement au contrat, l’échéancier fourni par l’entrepreneur n’a pas de valeur contractuelle à proprement parler. L’entrepreneur demeure en tout temps libre de planifier en fonction de ses besoins de main-d’œuvre et d’équipements, de choisir ses méthodes d’exécution et la séquence de ses travaux. Il lui revient de choisir le début de chaque étape et le temps qu’il lui faudra pour les réaliser[17], en autant que sa planification lui permette de respecter la date prévue pour la fin des travaux.

Soulignons également que le donneur d’ouvrage n’est pas lié par le calendrier des travaux que l’entrepreneur dépose avec sa soumission et qu’en cas de silence des documents d’appel d’offres quant à la date de début des travaux, l’entrepreneur n’est pas libre d’en établir une de manière unilatérale et de rendre sa soumission conditionnelle à un début des travaux à une date donnée. L’entrepreneur ne doit jamais supposer qu’il commencera la réalisation de ses travaux avant l’expiration de la période de validité de l’appel d’offres[18].

La liberté dans l’établissement de la séquence des travaux par l’entrepreneur se complexifie toutefois lorsque des ordres de changement (« ODC ») sont émis par les professionnels. L’entrepreneur a dès lors la responsabilité de prendre les mesures requises pour limiter les effets des ODC sur le déroulement des travaux. Les documents contractuels vont même parfois jusqu’à prévoir spécifiquement cette obligation de l’entrepreneur qui se traduit par une obligation de réviser son échéancier en fonction de ces changements. Il a par ailleurs été reconnu par les tribunaux que cette obligation de l’entrepreneur de minimiser les effets négatifs des changements apportés aux travaux par les professionnels n’avait pas pour effet d’enfreindre le droit de l’entrepreneur à sa liberté dans le choix de séquence des travaux.[19]

Pour faire valoir que les changements ont pour résultante de repousser la fin des travaux, l’entrepreneur doit être en mesure de prouver (1) les conséquences sur le temps prévu pour l’exécution des travaux et (2) qu’il a pris les moyens ordinaires à sa disposition (comme des changements dans la séquence des travaux) pour en limiter les effets[20]. De plus, les documents contractuels prévoient souvent une procédure à suivre afin d’établir l’impact des changements sur la fin des travaux. Cette procédure doit absolument être respectée.

L’entrepreneur ne peut réclamer les frais de prolongation de chantier pour la partie des retards des travaux découlant de ses propres choix.

L’obligation de coordination des travaux incombe toutefois au client lorsque celui-ci décide de retenir les services de plusieurs entrepreneurs différents pour un seul et même projet[21]. Sans pour autant libérer l’entrepreneur de son obligation de planification et de coordination de ses propres travaux et de ceux de ses sous-traitants, l’obligation du client consiste alors à planifier et coordonner les travaux des différents entrepreneurs. Le défaut par le client de ce faire, en omettant de fournir un échéancier des travaux par exemple, pourra engager sa responsabilité pour le paiement des frais supplémentaires encourus par les entrepreneurs en raison de ce manque de coordination.

L’autonomie de l’entrepreneur dans son choix des sous-traitants

L’autonomie de l’entrepreneur est également synonyme de liberté dans le choix des sous-traitants et fournisseurs avec qui il contracte aux fins de l’exécution de son contrat avec le donneur d’ouvrage.

Le droit de l’entrepreneur de sous-traiter ses travaux est d’ailleurs spécifiquement prévu dans la loi, à l’article 2101 C.c.Q. qui énonce ce qui suit : « À moins que le contrat n’ait été conclu en considération de ses qualités personnelles ou que cela ne soit incompatible avec la nature même du contrat, l’entrepreneur ou le prestataire de services peut s’adjoindre un tiers pour l’exécuter; il conserve néanmoins la direction et la responsabilité de l’exécution. ».

Cela signifie qu’à moins que l’expertise ou les aptitudes particulières de l’entrepreneur ne soient la raison pour laquelle le contrat lui a été octroyé, ou que le contrat n’interdise spécifiquement ou qu’il encadre la sous-traitance, l’entrepreneur est libre de conclure des sous-contrats avec des tiers pour l’aider à réaliser ses travaux[22].

À moins qu’une clause en ce sens ne soit incluse au contrat, l’entrepreneur n’a pas l’obligation de dénoncer au donneur d’ouvrage le fait qu’il a ou aura recours à des sous-traitants ou fournisseurs, ni de révéler l’identité des sous-traitants et fournisseurs avec qui il a contracté. Les contrats de sous-traitance intervenus seront tout de même dénoncés au donneur d’ouvrage par les sous-traitants et fournisseurs pour leur permettre de se prévaloir de leur droit à l’hypothèque légale de la construction[23].

Certains corps publics imposent d’ailleurs  aux entrepreneurs la dénonciation de leurs sous-contrats par voie contractuelle. Il en est ainsi du ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification qui, dans son Cahier des charges et devis généraux, prévoit une telle obligation[24].

Un autre exemple se trouve dans le contrat type du Comité canadien des documents de construction (« CCDC ») « CCDC 2 – Contrat à forfait – 2008 » qui prévoit  que le client peut exiger que l’entrepreneur lui fournisse, sur demande, les noms des sous-traitants et fournisseurs lui ayant présenté des soumissions. Le client peut s’opposer à la conclusion d’un contrat de sous-traitance s’il manifeste cette opposition avant la conclusion du contrat et s’il a un motif raisonnable de le faire[25]. Si le client ne s’y oppose pas avant la conclusion du contrat,  l’entrepreneur doit employer les sous-traitants et fournisseurs qu’il a identifiés par écrit pour l’exécution des parties de l’ouvrage pour lesquelles ils ont présenté des soumissions[26].

L’autonomie du sous-traitant

Les obligations qui incombent au sous-traitant sont essentiellement les mêmes que celles qui incombent à l’entrepreneur, et celui-ci bénéficie en principe d’une autonomie semblable à celle qui profite à l’entrepreneur dans son choix des méthodes et dans l’exécution de ses travaux. Toutefois, cela n’a pas pour effet de décharger l’entrepreneur envers son client quant à la qualité et la conformité de la prestation confiée à son sous-traitant.

Au même titre que l’entrepreneur envers son client, le sous-traitant ne peut suivre aveuglément les instructions de l’entrepreneur et est responsable de « tout acte pris en connaissance de cause qui a eu comme conséquence la diminution de la qualité des travaux exécutés ou des services rendus »[27].

Les limites et contraintes à l’autonomie de l’entrepreneur

Les limites découlant du dossier d’appel d’offres ou du contrat

La latitude dont dispose l’entrepreneur est tributaire des plans et devis et des dispositions contractuelles le liant à son client, lesquels peuvent imposer certaines limites. En effet, le donneur d’ouvrage peut, dans les documents d’appel d’offres ou lors de la négociation du contrat, exiger que l’entrepreneur intègre à l’ouvrage des matériaux ou équipements spécifiques ou qu’il emploie une méthode déterminée pour réaliser ses travaux.

Ces limites font reposer sur les épaules du client une plus grande responsabilité à l’égard de l’ouvrage réalisé sans toutefois décharger l’entrepreneur de son obligation de résultat.  L’entrepreneur qui dépose une soumission ou conclut un contrat sur cette base doit alors respecter le choix de son client. Rappelons que le simple fait pour le client d’imposer ses choix n’est pas suffisant pour conclure à une ingérence et à l’existence d’un lien de subordination quant à l’exécution générale des travaux[28].

La fourniture des matériaux

Les parties peuvent prévoir, au contrat, que le client sera responsable, en tout ou en partie,  de la fourniture des biens requis à la réalisation de l’ouvrage. Cette stipulation doit cependant être expresse, à défaut de quoi l’entrepreneur sera présumé responsable de la fourniture des matériaux et de la machinerie requises pour les travaux.

Lorsque les biens sont fournis par le client, l’entrepreneur a tout de même l’obligation de les utiliser avec soin et de rendre compte de leur utilisation[29]. De plus, si les biens sont manifestement impropres à l’utilisation à laquelle ils sont destinés ou s’ils sont affectés d’un vice apparent ou caché qu’il devrait connaitre, l’entrepreneur est tenu d’en informer immédiatement le client[30]. S’il omet de le faire, il devient responsable du préjudice qui peut résulter de l’utilisation de ces biens. De plus, le fait pour un client d’accepter un matériau proposé par l’entrepreneur ne constitue pas l’équivalent d’un  choix qui aurait été  imposé par le client si ce dernier n’a pas été informé que ce matériau était impropre à l’usage auquel il était destiné[31].

Il s’ensuit donc que la responsabilité de l’entrepreneur ne devrait pas être retenue pour les vices affectant les matériaux intégrés à l’ouvrage et ayant été imposés par le client si ceux-ci ont été fournis conformément aux exigences du devis et qu’ils ont été installés sous la surveillance des professionnels mandatés par ce dernier.

Lorsque les plans et devis prévoient l’intégration d’un type particulier de matériau à l’ouvrage, l’entrepreneur spécialisé ne pourra pas simplement invoquer son manque d’expérience dans l’installation de ce type de matériau afin de faire assumer par son client les frais supplémentaires résultant de sa propre incompétence. Il lui incombe, dans un premier temps, de déterminer quelle méthode de construction doit être utilisée pour réaliser les travaux projetés et de se renseigner, si nécessaire, auprès du fabricant ou des professionnels quant à la méthode d’installation, et ce, avant de soumissionner et de réaliser les travaux. Tout défaut de ce faire pourrait servir comme fin de non-recevoir contre une réclamation de l’entrepreneur afin d’être compensé pour les travaux supplémentaires découlant d’une méthode spécifique d’installation qu’il aurait dû prévoir avant de soumettre un prix[32].

Le choix des méthodes

Le client peut lui-même choisir la méthode d’exécution des travaux sans pour autant porter atteinte à l’autonomie de l’entrepreneur. Le choix doit toutefois être exercé par le client avant que le contrat n’ait été conclu et ces exigences doivent être stipulées au contrat[33]. Si l’intervention du client ou de ses professionnels dans le choix des méthodes survient en cours d’exécution du contrat, celle-ci pourra être considérée comme une entrave à l’autonomie de l’entrepreneur et cela pourra donner ouverture à une demande de compensation ou justifier un refus.

Il est fréquent que le client, avec l’aide des professionnels qu’il mandate, émette des plans et devis décrivant la méthode à suivre ou certains aspects techniques et mécaniques de l’ouvrage à respecter, ainsi que les équipements et matériaux devant y être incorporés[34].

En signant un contrat sur la base de cette documentation, l’entrepreneur accepte de réaliser l’ouvrage selon les exigences contenues dans le cahier des charges et de suivre la méthode d’exécution imposée par le client. Cela fait présumer non seulement sa connaissance et son aptitude à la mise en application de cette méthode, mais aussi que celle-ci est appropriée et que les matériaux choisis sont adéquats[35].

Il est donc important pour l’entrepreneur de remettre en question la méthode imposée par son client s’il doute de son efficacité ou de sa pertinence. Un tel avis lui permettra de repousser sa responsabilité dans l’éventualité où ses craintes quant aux méthodes imposées se matérialiseraient.

L’entrepreneur est aussi tenu, en vertu de la loi, d’aviser le client lorsque les biens qu’il lui fournit sont manifestement impropres à l’utilisation à laquelle ils sont destinés[36]. Cette obligation découle aussi du fait qu’il est considéré comme un expert dans son domaine.

Bien que les méthodes d’exécution des travaux appartiennent, a priori, à l’entrepreneur, une interprétation plus modérée a été apportée par la jurisprudence quant à l’obligation du soumissionnaire de refaire ses propres forages ou sondages lorsqu’il répond à un appel d’offres d’un organisme public[37]. Cela s’explique par le fait que toutes les informations pertinentes à l’objet du contrat et à son adjudication doivent être rendues disponibles aux soumissionnaires afin que ceux-ci disposent des mêmes données essentielles pour préparer leurs soumissions. En principe, la véracité de ces données peut être présumée et n’a pas à être remise en question.

La Cour d’appel souligne « [qu’il] appartient au donneur d’ouvrage de décrire les travaux proposés avec suffisamment de soin et de précision pour que les soumissionnaires sachent ce que l’on attend d’eux. Il s’agit ici d’un contrat de construction à prix unitaire forfaitaire; les données fournies par le donneur d’ouvrage influent directement sur la méthode d’exécution des travaux choisie par les soumissionnaires et sur l’élaboration des prix en découlant »[38]. Ainsi, le donneur d’ouvrage doit s’assurer de donner les informations adéquates pour permettre aux soumissionnaires d’évaluer son engagement et les risques qu’il comporte sans quoi il peut être tenu responsable de toute erreur, ambiguïté ou omission ayant un impact important sur le prix de la soumission acceptée[39]. Lorsque cette obligation du donneur d’ouvrage est respectée, il reviendra généralement  à l’entrepreneur « d’assumer les risques d’imprévision après avoir eu accès aux lieux et s’être déclaré satisfait des conditions d’exécution des travaux »[40].

Les contraintes liées au droit d’inspection du client

La loi prévoit que, malgré l’autonomie dont bénéficie l’entrepreneur, le client conserve un droit de regard sur les travaux lui permettant de vérifier, tout au long de ceux-ci, la qualité des matériaux utilisés, leur état d’avancement et l’évolution des dépenses[41]. L’exercice de cette surveillance n’a pas à être justifié ou motivé par le client : il s’agit d’un droit qui est prévu dans la loi.

L’article 2117 C.c.Q., qui accorde ce droit au client, se lit comme suit : « À tout moment de la construction ou de la rénovation d’un immeuble, le client peut, mais de manière à ne pas nuire au déroulement des travaux, vérifier leur état d’avancement, la qualité des matériaux utilisés et celle du travail effectué, ainsi que l’état des dépenses faites ».

Lorsque le client n’a pas la compétence ou l’expérience nécessaire pour lui-même exercer son droit de regard et de surveillance, il est libre de retenir, à ses frais, les services de professionnels à cette fin[42]. Ce droit de regard, qui appartient au client, ne doit pas être interprété comme une obligation de surveillance devant être remplie par l’entrepreneur. La surveillance réalisée par le client ou ses représentants ne décharge pas l’entrepreneur de sa responsabilité en lien avec la qualité des travaux.

Par ailleurs, les frais de surveillance des professionnels mandatés par le client ne peuvent être réclamés à l’entrepreneur (en totalité ou en partie) que lorsque ceux-ci ont été requis en raison de sa propre faute – notamment lorsque les travaux réalisés sont non conformes aux plans et devis ou lorsque plusieurs erreurs d’exécution se succèdent durant la réalisation des travaux.

L’immixtion du client

La limite de la prérogative de surveillance générale est la nuisance qu’elle peut causer à l’entrepreneur dans sa libre exécution des travaux. Le droit de vérification du client varie selon les circonstances et selon la nature et la qualité des travaux réalisés par l’entrepreneur.

Une intervention du client, nécessaire pour la protection de ses intérêts, sera généralement jugée acceptable[43]. Une telle intervention n’empêche pas l’entrepreneur de conserver son autonomie et d’exercer sa liberté dans le choix de la méthode d’exécution et n’instaure en rien un lien de préposition ou de subordination envers son client[44].

La Cour supérieure a récemment rejeté la thèse d’un entrepreneur général selon laquelle celui-ci était justifié de s’être impliqué dans les travaux de désamiantage de son sous-traitant et de lui réclamer le coût des travaux qu’il avait lui même réalisés, retenant que, n’eut été de l’implication imposée de l’entrepreneur, le sous-traitant aurait, selon toute probabilité, été en mesure de compléter ses travaux dans les délais prévus. L’entrepreneur se devait d’établir qu’il aurait subi un préjudice en l’absence de son intervention. La Cour a donc conclu que les travaux réalisés par l’entrepreneur n’étaient pas requis ni justifiés et qu’aucune retenue ne pouvait être appliquée[45].

Dans l’arrêt Hydro-Québec c. Construction Kiewit Cie [46], le contrat qui liait l’entrepreneur au client conférait à l’entrepreneur l’obligation d’inspecter les travaux. Le tribunal a cependant conclu que le client était responsable des coûts supplémentaires requis par la double inspection des travaux qu’il avait lui-même exigée puisque celle-ci n’était pas justifiée[47].

Lorsque l’immixtion du client dans l’exécution des travaux de l’entrepreneur entraîne des coûts supplémentaires et des retards dans l’échéancier, l’entrepreneur peut réclamer des dommages au client.

L’ingérence du client peut en effet être de nature à renverser la présomption de responsabilité pesant sur la tête de l’entrepreneur en cas de perte de l’ouvrage. Toutefois, pour se prévaloir de ce moyen d’exonération, l’entrepreneur ne peut se limiter à prouver que le choix de méthode provient du client. Il doit prouver :

  • que la décision a réellement été imposée par celui-ci;
  • qu’il s’est opposé à cette décision et que le client a bien été avisé du risque qui pouvait résulter de cette décision;
  • que les dommages à l’ouvrage ou les retards dans l’échéancier sont la conséquence directe de ce choix du client; et
  • que le degré d’expertise ou de compétence du client était égal ou supérieur au sien. Si le degré d’expertise du client est égal ou inférieur à celui de l’entrepreneur, il y aura alors un partage de responsabilité entre les parties[48]. Notons cependant que les professionnels mandatés par le client, qui sont des experts en construction, font du client un expert en la matière[49].

Les simples suggestions ou recommandations faites par le client ne constituent pas des moyens valables d’exonération de responsabilité[50]. Les tribunaux imposent même parfois à l’entrepreneur de refuser de réaliser les travaux dans des cas où les choix imposés par le client sont prohibés par la loi ou contraires aux règles de l’art.

Conclusion

L’autonomie de l’entrepreneur est un concept modulable qui, bien qu’il permette à l’entrepreneur d’exercer le plein contrôle de son chantier, fait reposer sur ses épaules de lourdes responsabilités à ne pas prendre à la légère et qui se traduisent par une obligation de résultat.

[1] Art. 2098 C.c.Q.

[2] RLRQ c. CCQ-1991.

[3] François Beauchamp et Hélène Mondoux, « La nature et l’étendue du contrat d’entreprise ou de service », dans Collection de droit 2018-2019, École du Barreau du Québec, vol. 7, Contrats, sûretés et publicités des droits, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2018.

[4] Bernard Quinn, « L’autonomie de l’entrepreneur dans le choix des méthodes et des moyens de réalisation de l’ouvrage », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit de la construction, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 45-46.

[5] Art. 2117 C.c.Q.

[6] F. Beauchamp et H. Mondoux, préc., note 3.

[7]  Art. 2120 C.c.Q.

[8]  Art. 2118 C.c.Q.

[9] Scaffidi Argentina c. Construction GSS Gauthier 2000 inc., 2012 QCCS 5417, conf. par 2014 QCCA 990.

[10] Bernard Quinn, préc., note 4, p. 53.

[11] Hill-Clarke-Francis Ltd. v. Northland Groceries (Quebec) Ltd., [1941] SCR 437.

[12] Art. 2103 C.c.Q.

[13] Hôpital Maisonneuve-Rosemont c. Buesco Construction inc., 2016 QCCA 739.

[14] Ibid.

[15] Développement Tanaka inc. c. Corporation d’hébergement du Québec, 2009 QCCS 3659, par. 167 (appel rejeté); Guy Sarault, Les réclamations de l’entrepreneur en construction en droit québécois, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, n° 479.

[16] Guy Sarault, préc., note 15, n° 490.

[17] Ibid., n° 492.

[18] Municipalité de Saint-Pierre-de-Broughton c. Excavations H. St-Pierre inc., 2017 QCCS 3481.

[19] Développement Tanaka inc. c. Corporation d’hébergement du Québec, préc., note 15, par. 167.

[20] Ibid., par. 168.

[21] Guy Sarault, préc., note 15.

[22] Andréanne Sansoucy, La protection des créances des sous-traitants dans le domaine de la construction, Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, p. 12.

[23]  Art. 2728 C.c.Q.

[24] Ministère des Transports, de la mobilité durable et de l’Électrification des transports du Québec, Cahier des charges et devis généraux – Infrastructures routières – Construction et réparation, Édition 2018, article 6.1.

[25] Clause 3.7.3, CCDC 2, 2008.

[26] Clause 3.7.2, CCDC 2, 2008.

[27] Vincent Karim, Contrats d’entreprise, contrat de prestation de services et l’hypothèque légale, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, n° 283; Équipement d’excavation Quatre-Saisons inc. c. 6642641 Canada inc. (Seabrook Construction), 2014 QCCS 2454.

[28] Suzanne Dumont c. Constructions Léo Quirion inc., REJB 98-6197 (C.Q.).

[29] Art. 2104 C.c.Q.

[30] Art. 2104 C.c.Q.; Viking Fire Protection Inc./Protection incendie Viking inc. c. Allendale Mutual Insurance Company, 2005 QCCA 957.

[31] Gaz LG pétrole inc. c. Construction La-Ray inc., J.E. 2001-720 (C.S.).

[32] Voir à ce sujet : Forage Marathon Cie ltée c. Doncar Construction inc., JE 2001-848 (C.S.).

[33] Vincent Karim, préc., note 27, n° 273.

[34] Ibid.

[35] Ibid.

[36] Art. 2104 C.c.Q.

[37] Compagnie d’assurances générales Kansa international ltée (Compagnie d’assurance générale Kansa ltée) c. Lévis (Ville de) (Bernières (Municipalité de)), 2013 QCCS 590, par. 85, conf. par 2016 QCCA 32.

[38] Sintra inc. c. Ville de Mascouche, J.E. 95-1615 (C.A.).

[39] André Langlois, Les contrats municipaux par demandes de soumissions, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2018.

[40]    9148-0657 Québec inc. c. EBC inc., 2018 QCCS 3522.

[41] Martin Tétrault, « Dispositions particulières aux contrats d’entreprise : règles applicables aux ouvrages mobiliers et à la construction d’immeubles », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », Contrats nommés II, fasc. 3, Montréal, LexisNexis Canada, mis à jour le 30 novembre 2015 (Lad/QL).

[42] Vincent Karim, préc., note 27, n° 1269.

[43] Ibid. n° 1037.

[44] Ibid.

[45] 9148-0657 Québec inc. c. EBC inc., préc. note 41.

[46] Hydro-Québec c. Construction Kiewit cie, 2014 QCCA 947.

[47] Ibid.

[48] Davie Shipbuilding Ltd. c. Cargill Grain Co., [1978] 1 RCS 570.

[49] Nancy Demers, Précis du droit de la construction, Montréal, Éditions Yvon Blais, n° 125, p. 78; Vincent Karim, préc., note 27, n° 1272.

[50] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 8e éd., vol. 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, n° 2-298, p. 329.

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