Clause prévoyant l’indemnisation de l’entrepreneur général en cas de faillite d’un sous-traitant : est-ce valide ?

1 décembre 2020 | Marie-Pier Barabé

Journal Constructo – 12 novembre 2020

Il est notoire que le contrat, en raison de son caractère obligatoire, sera considéré comme étant la loi des parties [1]. Dans quelques situations, les tribunaux ont toutefois un pouvoir d’intervention quant à la validité de certaines clauses et peuvent ainsi invalider une ou plusieurs dispositions d’un contrat.

Ce fut notamment le cas dans l’affaire Chandos Construction Ltd. [2] où la Cour suprême du Canada a eu à se prononcer sur la validité de l’une des clauses d’un contrat de sous-traitance qui prévoyait qu’une indemnisation serait versée à l’entrepreneur général en cas de faillite du sous-traitant.

Les faits

Chandos Construction Ltd. (« Chandos »), un entrepreneur général albertain, a conclu un contrat de sous-traitance avec Capital Steel inc. (« Capital Steel ») dont la valeur s’élevait à 1,3 M$ (le « Contrat »). L’une des clauses du Contrat prévoyait ce qui suit :

« VII Q Cessation des activités du sous-traitant

Dans le cas où le sous-traitant devient insolvable, fait faillite, liquide ou distribue autrement ses actifs, permet la nomination d’un séquestre pour son entreprise, cesse d’exercer ses activités ou ferme ses chantiers :

[…]

(d) le sous-traitant renonce à 10 % du prix du présent contrat de sous-traitance en faveur de l’entrepreneur à titre de frais pour les dérangements liés à l’achèvement des travaux par d’autres moyens et/ou pour la surveillance des travaux durant la période de garantie. »

Capital Steel a procédé à la cession de ses biens avant la fin du Contrat. Chandos a alors soutenu être en droit de recevoir une indemnité en vertu de la clause VII Q d). Le syndic de faillite de Capital Steel s’est adressé aux tribunaux afin d’obtenir des conseils et des directives quant à la validité de la clause VII Q d). Le juge de première instance a conclu que la clause en question était une clause de dommages-intérêts liquidés valide. La Cour d’appel d’Alberta a infirmé la décision et Chandos a porté cette décision devant la Cour suprême du Canada.

La décision  

La Cour suprême du Canada a conclu que la clause était invalide en raison de la règle anti‑privation, laquelle « rend nulle toute stipulation d’un contrat qui prévoit qu’en cas d’insolvabilité (ou de faillite), la valeur des actifs à laquelle les créanciers de la personne insolvable auraient autrement accès est réduite, et place cette valeur entre les mains d’autres personnes [3] ». La Cour suprême confirme ainsi l’application de cette règle, qui provient du droit anglais et qui se trouve enchâssée dans la common law canadienne en matière de faillite et insolvabilité.

Afin de déterminer si une clause va à l’encontre de la règle anti-privation, la Cour suprême prévoit un test à deux volets : en application de ce test, il y a lieu de déterminer si 1) la clause est déclenchée par l’insolvabilité ou la faillite du débiteur et si 2) cette dernière a pour effet de réduire la valeur de l’actif de la personne insolvable ou du failli.

Dès lors, la question de savoir si l’intention des parties contractantes était raisonnable sur le plan commercial n’est pas pertinente dans l’évaluation de la validité de la clause. En effet, la Cour suprême retient simplement que la clause prévue au contrat de Chandos va à l’encontre des objectifs poursuivis par les dispositions de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, ce qui justifie en soi l’application de la règle anti-privation, et ce, sans égard à l’intention des parties quant à la clause.

Ainsi, sur la base de la règle anti-privation, la Cour suprême a invalidé la clause qui aurait permis à l’entrepreneur général de toucher une indemnité en cas de faillite du sous-traitant avant la fin du contrat.

Conclusion

Ce type de clause prévoyant une indemnisation pour l’entrepreneur général en cas de faillite d’un sous-traitant est largement répandue dans les contrats de construction.

Cette décision s’avère ainsi très pertinente pour la rédaction de vos contrats et l’évaluation des risques associés à ceux-ci.

Enfin, en ce qui concerne les contrats existants, il convient de procéder au test en deux volets qui a été exposé par la Cour suprême avant de conclure à l’invalidité d’une telle clause.

[1] Art. 1434 C.c.Q.

[2] Chandos Construction Ltd. c. Restructuration Deloitte Inc., 2020 CSC 25

[3] Idem., par. 31

Cet article est paru dans l’édition du 12 novembre 2020 du journal Constructo.

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