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Journal Constructo – 28 octobre 2021
Les tribunaux ont depuis longtemps reconnu qu’en acceptant une soumission non conforme, l’entrepreneur destinataire engage sa responsabilité envers le plus bas soumissionnaire conforme. Par contre, l’entrepreneur destinataire peut-il également engager sa responsabilité envers un soumissionnaire non conforme à qui il a accordé le contrat ?
Dans une décision récente[1], la Cour du Québec a conclu qu’un sous-traitant pouvait invoquer l’irrégularité de sa propre soumission pour réclamer des dommages-intérêts à l’encontre d’un entrepreneur destinataire.
Les faits
Dans le cadre d’un appel d’offres lancé par la Régie des installations olympiques (« RIO ») pour des travaux visant les stationnements intérieurs du Stade olympique, A3G Isolation inc. (« A3G ») dépose au BSDQ une soumission pour les travaux de calorifugeage des tuyaux de plomberie et des conduits de ventilation. Mécanicaction inc. (« Mécanicaction »), entrepreneur destinataire, prend possession de la soumission d’A3G et inclus le prix de cette dernière dans sa propre soumission. Ultimement, le contrat est octroyé à Mécanicaction qui confie par la suite les travaux de calorifugeage à A3G.
Lors de l’exécution des travaux, A3G réalise que pour préparer sa soumission, elle a uniquement consulté trois des six plans de sa discipline. Bien qu’elle décide d’exécuter l’entièreté des travaux, A3G transmet à Mécanicaction une réclamation pour frais supplémentaires une fois ceux-ci réalisés. Cette réclamation est présentée aux professionnels qui refusent celle-ci au motif que ces travaux devaient être inclus dans la soumission.
Insatisfaite, A3G intente un recours contre Mécanicaction et sa caution par lequel elle réclame le paiement de frais supplémentaires et de frais impayés encourus pour d’autres travaux. Selon A3G, Mécanicaction a commis une faute en retenant sa soumission, car celle-ci n’était pas conforme à l’étendue des travaux prévus au contrat. En défense, Mécanicaction rétorque n’avoir commis aucune faute et indique que, si la soumission d’A3G était non conforme, il ne s’agissait que d’une irrégularité mineure.
La décision
Dans le cadre de sa décision, la Cour analyse en premier lieu le fondement juridique du recours d’A3G. Alors que Mécanicaction prétend que le recours est basé sur le contrat d’entreprise et que les frais supplémentaires réclamés n’en sont pas puisqu’ils étaient inclus à la soumission, la Cour est plutôt d’avis que le droit d’action d’A3G s’appuie sur le contrat collectif issu des engagements souscrits en vertu du Code de soumission du BSDQ.
La Cour étudie ensuite la prétention de Mécanicaction voulant que la soumission d’A3G ne fut affectée que d’une irrégularité mineure, demeurant ainsi conforme. Selon la Cour, l’omission de tenir compte des travaux et des quantités dans les trois autres plans a eu un effet significatif sur le prix en ce que cette omission a placé A3G au rang du plus bas soumissionnaire. Dans de telles circonstances, la Cour retient qu’il s’agissait en l’occurrence d’une irrégularité majeure.
Finalement, la Cour conclut que les engagements C-1 et C-2 souscrits par A3G et Mécanicaction entrainent des obligations réciproques de respecter les règles du Code de soumission. Parmi ces obligations, le Code de soumission impose à ses adhérents de déposer une soumission pour l’ensemble des travaux d’une spécialité et de n’accorder le contrat qu’à un soumissionnaire conforme.
En octroyant un contrat de sous-traitance à A3G, Mécanicaction commet une faute en ce qu’elle accorde un contrat à un soumissionnaire ayant déposé une soumission non conforme puisqu’elle ne visait qu’une partie des travaux de sa spécialité. Avec seulement 3 des 6 plans identifiés à la soumission d’A3G, Mécanicaction aurait dû déterminer que cette soumission était non conforme et l’écarter. Cela dit, la Cour juge qu’A3G a également commis une faute en déposant une soumission non conforme.
Au final, la Cour partage la responsabilité pour les frais supplémentaires réclamés entre A3G et Mécanicaction dans une proportion de 2/3 – 1/3. S’il est vrai que Mécanicaction a commis une faute en acceptant la soumission non conforme d’A3G, cette dernière avait la responsabilité première de soumissionner sur l’entièreté des travaux de sa spécialité. Elle sera donc tenue d’assumer la plus importante part de la responsabilité. Ainsi, la réclamation d’A3G ne sera qu’accueillie en partie.
Conclusion
De façon pratique, cette décision nous apparaît imposer un lourd fardeau à l’entrepreneur destinataire adjudicataire en l’obligeant à effectuer un examen attentif des soumissions déposées à l’intérieur du court délai dont il dispose généralement entre la réception des soumissions et la date de clôture de sa propre soumission.
Si la soumission dont il prend possession par l’entremise du BSDQ s’avère non conforme, l’entrepreneur destinataire adjudicataire s’expose non seulement à un recours en dommages par le plus bas soumissionnaire conforme, mais également par le soumissionnaire adjudicataire fautif, tel que le démontre le jugement sous étude. À l’inverse, s’il rejette à tort la plus basse soumission déposée au motif d’une non-conformité, l’entrepreneur destinataire adjudicataire encourt le risque d’un recours en dommages par le plus bas soumissionnaire conforme.
Il sera donc intéressant de voir de quelle façon les principes de cette décision seront repris dans les jugements à venir.
Cet article est paru dans l’édition du 28 octobre 2021 du journal Constructo.
[1] A3G Isolation inc. c. Mécanicaction inc., 2021 QCCQ 5525